En bref
Il apparaît que des catastrophes de grande ampleur causent une détresse psychologique et une augmentation de la consommation de substances. Pendant la pandémie de COVID-19, des tendances similaires ont été observées, l’alcool étant la substance que les Canadiens ont le plus consommé. Or, l’alcool, qu’il soit consommé en un court laps de temps ou à long terme, peut causer des méfaits. Pendant la pandémie, la vente d’alcool a été désignée comme un service essentiel dans bon nombre de provinces et territoires canadiens. Des tendances comparables ont été observées aux États Unis, au Royaume-Uni, en Pologne et en Australie.
Des chercheurs canadiens ont réalisé une enquête transversale des effets de la pandémie de COVID‑19 sur la consommation d’alcool et le bien-être émotionnel sur des Néo-Brunswickois et de Néo-Écossais d’âge adulte. Jusqu’à présent, peu de recherches ont été effectuées dans ce domaine et aucune étude n’a été réalisée au sein de la population canadienne. Selon les résultats de l’enquête, les personnes ayant déclaré qu’elles ressentaient un plus grand stress ainsi qu’un sentiment de solitude et de désespoir étaient plus susceptibles de signaler que la fréquence à laquelle elles buvaient de l’alcool avait augmenté pendant la pandémie.
Objet de la recherche
Souvent, en période de stress, on boit de l’alcool pour faire face à la situation. Des études ont montré que la détresse psychologique est associée à une consommation d’alcool plus fréquente aussi bien chez les hommes que chez les femmes. De nouvelles données donnent à penser que la consommation d’alcool a augmenté pendant la pandémie de COVID-19, ce qui pourrait entraîner des coûts socioéconomiques à long terme pour les particuliers, les collectivités et la société.
À partir des données recueillies lors d’une enquête transversale réalisée auprès de Néo-Brunswickois et de Néo-Écossais d’âge adulte, la présente étude a porté sur :
- la modification de la consommation d’alcool pendant la pandémie de COVID-19;
- l’association entre la consommation d’alcool plus fréquente pendant la pandémie et l’intensification du stress, de la solitude et du désespoir;
- les différences entre les genres.
Méthode
Les chercheurs ont réalisé une enquête transversale auprès de Néo-Brunswickois et de Néo-Écossais d’âge adulte. Ils ont recueilli en deux phases des données auprès de 2 000 personnes âgées d’au moins 19 ans. Lors de la première phase, 500 répondants ont été choisis au hasard pour répondre à un questionnaire en ligne. Les chercheurs ont visé les personnes ayant accès à Internet, y compris les groupes cibles difficiles à joindre. Lors de la deuxième phase, les chercheurs ont sélectionné 1 500 personnes par téléphone, en ciblant les régions n’ayant pas été prises en compte ou insuffisamment représentées dans l’enquête en ligne. Une société canadienne d’études de marché a mené le sondage.
Les données recueillies par les chercheurs portent sur ce qui suit :
- les changements survenus dans la fréquence de la consommation d’alcool avant et pendant la pandémie de COVID-19;
- la détresse psychologique (p. ex., stress, et sentiments de solitude et de désespoir plus intenses depuis le début de la pandémie de COVID-19);
- l’état de santé mentale global autodéclaré;
- les facteurs sociodémographiques (p. ex., genre, ethnicité, âge, langue officielle parlée, personnes vivant seules, détention d’un baccalauréat, situation de l’emploi et province de résidence).
Conclusions de la recherche
L’âge moyen des participants était de 50 ans et 52 % d’entre eux s’identifiaient comme des femmes.
Les chercheurs ont constaté ce qui suit :
- plus des trois quarts (76,9 %) des répondants ont déclaré que leur santé mentale et leur bien‑être étaient bons, voire excellents; la même proportion (76,9 %) a déclaré consommer de l’alcool;
- 12,2 % des répondants ont déclaré que, depuis le début de la pandémie, ils consommaient de l’alcool plus souvent qu’avant, 49,9 % ont déclaré que leur consommation n’avait pas changé, 14,8 % ont dit qu’ils buvaient moins et 23,1 % ont indiqué ne pas boire d’alcool;
- 43,5 % des répondants ont déclaré que, depuis le début de la pandémie, leur niveau de stress avait augmenté, 38,4 % ont dit qu’ils se sentaient plus seuls et 25,3 % ont dit ressentir un plus grand désespoir;
- davantage de femmes que d’hommes ont dit qu’elles souffraient d’une détresse psychologique plus grande depuis le début de la pandémie;
- davantage d’hommes que de femmes ont dit qu’ils consommaient de l’alcool depuis le début de la pandémie;
- un lien étroit entre l’accroissement de la détresse psychologique et l’augmentation de la consommation d’alcool pendant la pandémie, mais seulement chez les hommes.
Dans l’ensemble, les chercheurs ont constaté que la hausse du stress, de la solitude et du désespoir était associée à une consommation d’alcool plus fréquente pendant la pandémie. De plus, les répondants ayant fait état d’une consommation d’alcool plus fréquente depuis le début de la pandémie étaient, en moyenne, plus jeunes et plus susceptibles de déclarer un état de santé mentale passable ou mauvais et in niveau de stress, de solitude et de désespoir plus élevé.
Portée et limites des conclusions
Les chercheurs ont relevé plusieurs limites à leur étude. Les données ayant été uniquement recueillies au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, il est probable qu’elles ne puissent pas être généralisées à d’autres régions du Canada. De plus, les réponses se fondaient sur les expériences personnelles vécues à un moment donné. Les chercheurs ne pouvaient donc pas établir de lien de cause à effet entre la détresse psychologique et la consommation d’alcool plus fréquente pendant la pandémie. Les résultats de l’étude pourraient aussi faire l’objet de biais, notamment d’un biais de désirabilité sociale et d’un biais de rappel, attribuables au fait qu’il s’agissait d’auto-déclarations. Enfin, le faible taux de réponse a pu entraîner un biais de non-réponse.
Applications possibles
Selon les chercheurs, il faut poursuivre les recherches afin de pouvoir élaborer des politiques régissant la consommation d’alcool et des interventions de santé publique, ce en vue de comprendre le lien entre plusieurs facteurs, comme la santé mentale, la fréquence de la consommation et la disponibilité de l’alcool, qui ont participé à l’augmentation de la consommation d’alcool tout au long de la pandémie. Ils recommandent qu’à l’avenir les mesures de santé publique comprennent des avertissements contre la consommation d’alcool générée par des émotions et d’autres habitudes de consommation à risque élevé.
Auteur.e.s
Kara Thompson1, Daniel J. Dutton2, Kathleen MacNabb2, Tong Liu2, Sarah Blades3, Mark Asbridge2
- Département de psychologie, Faculté des arts, Université Saint-Francis-Xavier, Antigonish, Nouvelle‑Écosse, Canada
- Département de santé communautaire et d’épidémiologie, Faculté de médecine, Université Dalhousie, Halifax, Nouvelle-Écosse, Canada
- Équipe de promotion de la santé, Santé mentale et dépendances, IWK Health Centre, Halifax, Nouvelle‑Écosse, Canada