Ce que vous devez savoir
L’étude résumée ici visait à déterminer les effets du passage aux soins primaires virtuels, pendant la pandémie de COVID‑19, sur les adultes présentant des déficiences intellectuelles et développementales (DID).
Les chercheuses ont constaté que le recours accru aux soins virtuels avait eu des répercussions négatives et d’autres positives pour les adultes présentant des DID, en fonction des besoins et de la situation de chaque patient·e. Pour certains adultes ayant des DID, les soins virtuels ont éliminé le stress des déplacements et de l’attente et leur ont permis de recevoir des soins dans un cadre où ils se sentaient à l’aise. D’autres, en revanche, ont perdu des occasions importantes de développer leurs aptitudes sociales. Les soins virtuels ont permis à un plus grand nombre de proches et de prestataires de services d’assister aux rendez-vous, mais certains aidants ont trouvé que cela les obligeait à s’investir de façon plus importante pour les examens et le soutien à la communication. Certains participants ont aimé le fait d’accéder à des soins virtuels par eux-mêmes, alors que d’autres ont dit ne pas avoir les compétences nécessaires pour utiliser la technologie de façon efficace. Parmi les autres problèmes soulevés figuraient les obstacles à la communication, le manque de confidentialité dans les foyers de groupe et l’absence d’examens physiques. Pour les adultes présentant des DID, il convient d’adopter une stratégie souple, axée sur la personne et permettant d’opter pour des soins primaires virtuels ou en personne.
Objet de la recherche
Depuis le début de la pandémie de COVID‑19, on a assisté à une forte augmentation de la prestation de soins primaires virtuels par vidéo et par téléphone, et cet état de choses n’a pas été sans affecter les personnes présentant un syndrome de Down, un trouble du spectre de l’autisme, un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale ou autres DID, une catégorie de patients qui ont des besoins complexes en matière de soins. Déjà avant la pandémie, ces patients se heurtaient à de nombreux obstacles, et il était donc essentiel de déterminer en quoi le passage à des soins virtuels pouvait compromettre encore davantage leur accès à des soins de qualité. Très peu de travaux de recherche ayant été menés sur le sujet, les chercheuses se sont fixé pour tâche de mieux cerner l’accessibilité des soins virtuels pour les personnes présentant des DID.
Méthode
Les chercheuses ont interrogé de manière semi-structurée, par téléphone ou par vidéo, 38 personnes de l’Ontario, dont des adultes présentant des DID, des proches de personnes présentant des DID, du personnel administratif et des médecins de premier recours. Les participants devaient répondre à des questions sur :
- leur expérience des soins virtuels, en tant que patients ou prestataires;
- leurs préférences quant au rôle futur des soins virtuels;
- les moyens nécessaires pour garantir l’efficacité des soins virtuels.
Les chercheuses ont ensuite analysé les réponses et les ont regroupées par thèmes. Puis, les membres de chacune des parties prenantes, dont les personnes présentant des DID et défendant leurs propres intérêts, les aidants et les médecins, ont examiné ces divers thèmes et les ont développés par le biais de discussions avec les chercheuses.
Conclusions de la recherche
Les points de vue exprimés sur les soins virtuels ont été variés. Les participants ont indiqué que les soins virtuels présentaient un certain nombre d’avantages, notamment celui d’éliminer les déplacements pour se rendre aux rendez-vous et le temps passé en salle d’attente car, pour certains adultes ayant des DID, les déplacements et le temps passé en salle d’attente sont des expériences extrêmement stressantes. L’élimination de cette composante a donc permis d’améliorer l’expérience des patients et la qualité de l’interaction avec les professionnels de la santé. Les patients ayant besoin d’aide pour se déplacer ont pu accéder aux soins de manière plus indépendante, et certains patients se sont sentis plus à l’aise pour participer aux soins sans quitter leur domicile. Les consultations par vidéo ont également donné aux prestataires de soins la possibilité de voir les patients dans leur cadre de vie habituel.
Pour certains patients, cependant, les rendez-vous en personne offrent une sortie agréable et une occasion importante de mettre en pratique leurs compétences sociales. Avec les consultations virtuelles, surtout par téléphone, l’établissement de liens est plus difficile puisqu’il y manque la gestuelle et les expressions faciales nécessaires à une bonne communication. Les participants ont aussi estimé que les examens physiques étaient particulièrement importants pour les patients présentant des DID, car ils ont plus de mal à décrire leurs symptômes. De plus, il n’était pas toujours possible de préserver la confidentialité dans les foyers de groupe. Mais l’aspect le plus préoccupant des échanges par téléphone est qu’ils se faisaient généralement entre le médecin et l’aidant·e. Il était souvent plus difficile de communiquer par téléphone avec les patients ayant des DID et ils se voyaient donc exclus de leurs propres soins.
Les soins virtuels ont également affecté le rôle des aidants. Un avantage de ce mode de soins est qu’il a permis à plusieurs prestataires et aidants, y compris des parents résidant à distance, de participer aux consultations. Par contre, certains aidants naturels ont trouvé que les soins virtuels leur demandaient de prendre trop de responsabilités, pour effectuer les examens requis et pour faciliter la communication entre patient·e et prestataire de soins.
La technologie a elle aussi constitué un obstacle pour certains prestataires, patients et aidants, qui ont déclaré avoir du mal à se servir des plateformes vidéo. Un autre obstacle lié à la technologie concernait les personnes vivant dans des zones rurales en raison du manque d’accès à Internet haut débit.
Les chercheuses ont conclu qu’il n’existait pas de mode de soins unique convenant à tout le monde. Pour qu’une consultation virtuelle soit fructueuse et pertinente, plusieurs facteurs doivent être réunis :
- facteurs relatifs aux patients (ex. capacité de communication, accès à la technologie, difficulté à se rendre à des consultations en personne);
- facteurs relatifs aux aidants (p. ex. capacité à aider à la consultation, éloignement de la personne ayant des DID);
- facteurs relatifs à la situation des patients (ex. éloignement du médecin, bonne qualité du réseau Internet local, accès à un lieu privé);
- facteurs relatifs au service (p. ex. facilité d’utilisation de la plateforme de soins virtuels, modèle de rémunération du médecin);
- motif particulier de la consultation.
Cette étude a montré que, bien que les soins virtuels ne soient pas toujours appropriés, il y a des cas où ils facilitent l’accès des patients à des soins nécessaires. Il n’y a pas de solution qui convienne à tous.
Portée et limites des conclusions
Les chercheuses se sont efforcées d’inclure une diversité de personnes de toute la province, mais l’étude ayant été menée en anglais, elles n’ont pas recueilli de données sur la race ou d’autres intersectionnalités. Il conviendrait que les recherches futures se penchent sur la façon dont les différentes identités et origines influent sur l’expérience des soins virtuels pour les adultes ayant des DID.
N’étaient incluses dans l’étude que les personnes ayant participé à au moins une consultation virtuelle. Les adultes présentant des DID qui n’étaient pas à même de participer à une consultation virtuelle ou qui ne souhaitaient pas y participer ne sont donc pas représentés dans les conclusions.
Applications possibles
Les prestataires devraient adopter une démarche centrée sur les patients, qui leur permette d’opter pour des soins en personne, par téléphone ou par vidéo, de façon à ce que tous les besoins soient satisfaits. Au niveau du système, cela nécessitera un modèle de financement permettant aux prestataires de soins primaires de continuer à fournir des soins virtuels, ainsi qu’une formation supplémentaire pour les patients, les aidants et les prestataires sur la manière de déterminer le mode de soins approprié pour chaque consultation et de faire en sorte que les soins virtuels soient bénéfiques.
Pour promouvoir un accès universel aux soins par vidéo, il faudra en outre investir des fonds pour permettre aux établissements de santé de fournir des tablettes et des téléphones intelligents aux patients à faible revenu. Il faudra aussi avoir recours à une plateforme commune de soins virtuels qui soit conviviale et dotée de fonctionnalités telles que le sous-titrage et le clavardage, et qui puisse être intégrée aux systèmes de dossiers médicaux électroniques.
Auteur·e·s
Avra Selick a consacré les dix dernières années à étudier comment améliorer la qualité des soins prodigués aux personnes présentant des déficiences intellectuelles et développementales. Récente titulaire d’un doctorat de l’Université de Toronto, elle exerce actuellement comme spécialiste des méthodes de recherche au sein du Programme de soutien au système provincial du Centre de toxicomanie et de santé mentale.
Avra Selick1,2,3, Janet Durbin1,3,4, Yani Hamdani2,5, Jennifer Rayner6,7, Yona Lunsky1,2,4
- Institut des politiques, de la gestion et de l’évaluation de la santé de l’Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
- Centre Azrieli pour les troubles de neurodéveloppement et les maladies mentales chez les adultes, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto, Ontario, Canada
- Programme de soutien au système provincial, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto, Ontario, Canada
- Département de psychiatrie de l’Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
- Département d’ergologie et d’ergothérapie de l’Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
- Alliance pour des communautés en santé, Toronto, Ontario, Canada
- Centre d’études en médecine familiale, Université Western, London, Ontario, Canada