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Instantané de recherche : Points de vue des usagers de drogues sur la criminalisation et la stigmatisation

En bref

Les auteurs distinguent trois types de stigmatisation : la stigmatisation structurelle, la stigmatisation sociale et l’autostigmatisation.

La stigmatisation sociale et l’autostigmatisation émanent de la stigmatisation structurelle. Afin de réduire la stigmatisation, il faut modifier notre perception des drogues et des personnes qui en consomment, y compris en envisageant de décriminaliser, de légaliser ou de réglementer l’usage de drogues, ou d’assurer un approvisionnement sûr en drogue.

Objet de la recherche 

Il est établi que la législation sur les drogues ne contribue pas à réduire le nombre de personnes qui consomment des drogues (PQCD). En fait, des études ont montré que les interventions policières aggravent les problèmes sociaux, sanitaires, juridiques et environnementaux auxquels se heurtent les PQCD.

Figure 1 : Types de stigmatisation

Première : Stigmatisation structurelle : Lois qui entraînent l'exclusion des PQCD. Deuxième : Stigmatisation sociale :  Mythe voulant que les PQCD représentent un danger et sont responsables de leur situation. Troisième : Autostigmatisation :  Les PQCD intériorisent la stigmatisation sociale.

La figure 1 présente les différents types de stigmatisation subis par les PQCD. Ces dernières estiment que la stigmatisation structurelle est la cause directe de la stigmatisation sociale et de l’autostigmatisation.

Les auteurs souhaitent également soutenir les activités de recherche, encore restreintes, mais en pleine expansion, portant sur les points de vue des PQCD. Les PQCD, qui sont les plus touchées par la législation sur les drogues, ne sont pourtant pas souvent parties prenantes des décisions concernant ces lois.

Cet article s’intéresse essentiellement à la manière dont les PQCD perçoivent les préjudices que cause la législation sur les drogues, et aux options politiques pour réduire la stigmatisation (p. ex. décriminalisation, légalisation, réglementation et approvisionnement sûr).

Méthodes

L’équipe de recherche a interviewé 24 PQCD entre juillet et septembre 2020. Pour participer à l’étude, les critères étaient les suivants :

  1. être âgé·e d’au moins 18 ans;
  2. avoir consommé des drogues illégales au cours des 12 derniers mois;
  3. souhaiter discuter de la législation sur les drogues ou de ses expériences avec les services de police;
  4. disposer d’un téléphone pour l’entretien.

Les chercheurs ont trouvé les participants au moyen de tracts et par le bouche-à-oreille.

Conclusions de la recherche

L’équipe de recherche a conclu que pour les PQCD, la stigmatisation sociale et l’autostigmatisation résultent directement de la stigmatisation structurelle. Les réflexions des participants ont été classées selon six thèmes :

  1. Autostigmatisation : d’après beaucoup de participants, la société leur transmet le message selon lequel ils ne peuvent pas consommer de la drogue et être en même temps des êtres humains dignes de ce nom.
  2. Stigmatisation sociale : d’après les participants, la stigmatisation est le fait de la législation sur les drogues, et les opinions du public sur les PQCD sont fausses et dépassées.
  3. Stigmatisation structurelle : d’après les participants, les préjudices que cause la législation sur les drogues sont pires que les méfaits des drogues. Les participants ont expliqué qu’ils se livrent à des actes criminels ou au commerce du sexe, car, ayant un casier judiciaire, il leur est impossible de trouver un emploi. Les participants ont déclaré que la législation sur les drogues les empêche de chercher un soutien social.
  4. Inaction des autorités : les participants ont déploré l’inaction du gouvernement face à la crise des intoxications liées à la consommation de drogues, inaction qui occasionne des souffrances et des décès inutiles. Selon les participants, la législation sur les drogues est à l’origine de la stigmatisation, celle-ci empêchant de réelles avancées dans la réforme de la politique sur les drogues.
  5. Réforme de la législation sur les drogues : selon plusieurs participants, bien qu’une réforme de la législation s’impose pour réduire la stigmatisation, les changements se feront lentement. Une des personnes interviewées a déclaré qu’il lui serait beaucoup plus facile de parler de sa consommation de drogue avec sa famille et ses amis si la législation était modifiée.  
  6. Mettre un terme aux interventions policières « anti-drogues » : d’après les participants, une modification de la législation sur les drogues pourrait améliorer leurs relations avec la police, celle-ci étant souvent appelée à intervenir en urgence dans les cas de surdose. Une des personnes interviewées estime que si les lois étaient modifiées, il lui serait plus facile de faire confiance à la police. Si les PQCD sentent qu’elles peuvent faire confiance à la police, celle-ci sera alors en mesure de les mettre en contact avec des services sociaux.

Portée et limites de l’étude

L’équipe de recherche a relevé deux limites à cette étude. Premièrement, quelques participants ont été recrutés par l’intermédiaire du Drug User Network of BC (un réseau d’usagers de drogues de Colombie‑Britannique), ce qui a pu introduire un biais dans l’échantillon, ces PQCD partageant des points de vue similaires sur la politique en matière de drogues. Deuxièmement, il est possible que la qualité des entretiens ait pâti du fait qu’ils ont été réalisés par téléphone en raison de la pandémie de COVID-19. En outre, mener des entretiens par téléphone exclut toutes les personnes n'ayant pas accès à un téléphone, ne disposant pas d'un espace privé ou ne se sentant pas à l'aise d'être interviewées par téléphone.

Applications possibles

Grâce à cette étude, les décideurs et les promoteurs de la santé comprennent mieux que la stigmatisation se répercute de la législation à l’opinion publique. La réforme de la législation sur les drogues constitue la première étape de la lutte contre la stigmatisation.

De même, l’équipe de recherche souligne qu’il ne suffit pas de modifier la législation pour éliminer la stigmatisation actuelle. Selon les chercheurs, nous pouvons réduire la stigmatisation en étant prêts à explorer de nouvelles pistes de recherche sur d’autres types de politiques de réduction de la stigmatisation, comme la décriminalisation, la légalisation, la réglementation et l’approvisionnement sûr.

Enfin, les chercheurs estiment que cette étude met en évidence l’importance de faire participer les PQCD aux décisions politiques. Les PQCD interviewées ont donné un bon aperçu de la manière dont la stigmatisation structurelle les empêche de participer à des activités de la vie quotidienne (p. ex. emploi, accès aux services). Lorsque la stigmatisation empêche les PQCD de mener une vie normale, il ne leur reste qu’à enfreindre les lois pour survivre.  

Auteurs

Benjamin D. Scher1, Scott D. Neufeld, Amanda Butler3, Matthew Bonn4, Naomi Zakimi3, Jack Farrell3 et Alissa Greer3

  1. Department of Social Policy and Intervention, Université d’Oxford, Oxford, Royaume-Uni
  2. Département de psychologie, Université Brock, St. Catharines, Ontario, Canada
  3. École de criminologie, Université Simon Fraser, Burnaby, Colombie‑Britannique, Canada
  4. Canadian Association of People Who Use Drugs, Dartmouth, Nouvelle‑Écosse, Canada

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