En bref
L’épuisement professionnel des cliniciens exerçant dans des établissements de soins est un sujet d’inquiétude grandissant. Or, peu de recherches concernent les interventions pour réduire les cas d’épuisement professionnel et renforcer l’engagement au travail dans le milieu de la santé mentale et de la réadaptation. Des niveaux élevés d’épuisement professionnel peuvent conduire à une baisse du bien-être physique et émotionnel, à un manque d’engagement professionnel et d’attachement aux objectifs et aux valeurs de l’organisation ainsi qu’à un roulement élevé du personnel.
Dans la présente étude, l’équipe de recherche a cerné trois grands thèmes organisationnels en rapport avec le renforcement de l’engagement au travail et la réduction des cas d’épuisement professionnel : 1) une culture du travail qui met l’accent sur des soins centrés sur la personne plutôt que sur la productivité et d’autres mesures du rendement, 2) des compétences et des méthodes de gestion solides pour venir à bout de la bureaucratie et 3) des programmes de perfectionnement professionnel et d’autosoins à l’intention du personnel.
Objet de la recherche
La réduction et la prévention de l’épuisement professionnel chez les cliniciens en santé mentale n’ont pas fait l’objet de suffisamment d’attention. D’ailleurs, la littérature appelle à la mise en place d’interventions à l’échelle organisationnelle en vue d’atténuer les risques d’épuisement professionnel. Pour faire face aux défis que pose l’épuisement professionnel des cliniciens dans les établissements, il est important d’en comprendre les rouages.
Cette étude avait pour but de mieux comprendre les facteurs organisationnels associés à l’épuisement professionnel du point de vue du personnel actif dans le domaine de la santé mentale. À long terme, l’étude vise à déterminer des méthodes d’intervention axées sur les principaux facteurs susceptibles de mener à l’épuisement professionnel dans l’organisation pour atténuer les risques d’épuisement professionnel chez les cliniciens et les effets connexes de celui-ci.
Méthodes
L’équipe de recherche a mené une seule entrevue semi-structurée de 30 minutes auprès de 40 participants afin de comprendre leurs points de vue sur les conditions organisationnelles influant sur l’épuisement professionnel et l’engagement au travail. Cette étude s’inscrivait dans un essai comparatif randomisé plus vaste dans trois établissements du département des Anciens combattants des États‑Unis (VHA) et deux organismes de services sociaux pour réduire les risques d’épuisement professionnel du personnel actif dans le domaine de la santé mentale. La majorité des participants étaient des cliniciens et des gestionnaires en santé mentale; parmi eux, 77,5 % étaient blancs, 67,5 % des femmes et 75 % titulaires d’une maîtrise ou d’un diplôme de 3e cycle. Chaque entrevue reposait sur des questions ouvertes portant sur les facteurs associés à ce qui suit :
- l’épuisement professionnel et l’engagement au travail;
- les propositions pour régler le problème de l’épuisement professionnel et de l’engagement au travail au niveau de l’organisation;
- les pistes d’intervention, soit ce qui y fait obstacle et ce qui les facilite.
Les questions avaient pour but d’appréhender la propre expérience des participants, selon ce qu’ils en disaient, et d’analyser de manière approfondie des questions liées à l’épuisement professionnel aux niveaux local et organisationnel.
Conclusions de la recherche
D’après les entrevues, l’équipe de recherche a dégagé trois grands thèmes sur lesquels le milieu organisationnel est susceptible de réduire l’épuisement professionnel et d’augmenter l’engagement au travail :
- Une culture du travail qui met l’accent sur des soins centrés sur la personne plutôt que sur la productivité et d’autres mesures du rendement.
Concernant le premier thème, l’équipe de recherche a constaté que la culture organisationnelle se caractérisait par une lourde charge de travail due aux exigences de productivité et aux exigences documentaires, ce qui menait à l’épuisement professionnel du personnel et à une diminution des soins aux clients. De plus, d’après les participants, le manque de personnel, les retards pris pour pourvoir les postes vacants ou la décision de ne pas les combler tout simplement les empêchent de prodiguer les divers soins dont les clients ont besoin. Par ailleurs, les participants ont indiqué que ce n’était pas la direction qui exerçait bon nombre de ces pressions, mais que celles-ci découlaient des politiques et des contraintes budgétaires au niveau du système de santé, situation qui rend malaisée la gestion de changements de politique rapides et parfois contradictoires. - Des compétences et des méthodes de gestion solides pour venir à bout de la bureaucratie.
Concernant le deuxième thème, plusieurs sous-thèmes ont été définis, à savoir :- Communication et accessibilité de la haute direction – L’équipe de recherche a observé qu’un manque de communication à plusieurs niveaux du système avait une incidence sur les risques d’épuisement professionnel. Les participants se sentaient à l’aise d’exprimer leurs inquiétudes ou de poser des questions à la haute direction, mais ils se plaignaient, en revanche, du caractère inadapté de la communication sur les attentes et les changements de politique. Les gestionnaires eux-mêmes étaient affectés par le manque de communication. Certains participants appréciaient que leur supérieur.e ait des contacts réguliers avec le personnel et se félicitaient que certains cadres supérieurs appliquent une politique d’ouverture (p. ex., déjeuner mensuel avec le personnel) pour rester au diapason de l’organisation.
- Simplifier les processus pour maximiser l’efficacité – L’équipe de recherche a noté que les contraintes administratives pour ce qui est des documents à fournir étaient la principale cause de l’inefficacité des systèmes de travail. Il faut une meilleure coordination entre les services de manière à fluidifier les processus.
- Donner aux gestionnaires les moyens d’acquérir de bonnes compétences en leadership – L’équipe de recherche a mis en évidence plusieurs compétences clés en leadership qui contribuaient à encourager l’engagement au travail. Les bons gestionnaires favorisaient l’autonomie du personnel, le responsabilisaient, acceptaient les observations et y donnaient suite, et établissaient avec lui des relations se fondant sur la confiance et le soutien. Les symptômes d’épuisement professionnel survenaientquand les gestionnaires organisaient des réunions ou autres rencontres pour recueillir les opinions des employés, mais qu’ils n’en tenaient pas compte, souvent en raison d’un manque d’autorité de leur part ou de celle du personnel. En outre, l’équipe de recherche a remarqué que les gestionnaires qui étaient surchargés de travail ne prêtaient pas attention aux besoins du personnel.
- Des programmes de perfectionnement professionnel et d’autosoins à l’intention du personnel.
Concernant le troisième thème, l’équipe de recherche a constaté qu’il faut consacrer du temps à la formation et au perfectionnement professionnel (p. ex., mentorat, formation continue ou retraites). Les participants souhaitaient que la direction accorde la priorité au ressourcement personnel, en particulier à la pratique de la pleine conscience, à la relaxation, à la hiérarchisation des tâches pour éviter les dérangements inutiles, ainsi qu’à la pause du midi (le personnel doit avoir le temps de manger). Ils voulaient également que la direction concentre tous ses efforts sur la séparation de la vie professionnelle et de la vie personnelle et leur accorde des vacances et des moments de liberté pour qu’ils puissent se ressourcer et se recentrer. Certains participants ont fait remarquer que rien n’empêchait les gestionnaires d’encourager activement les employés à prendre soin d’eux-mêmes, mais d’autres ont reconnu qu’il était extrêmement difficile de prendre un congé et de répondre aux impératifs élevés en matière de productivité.
Portée et limites des conclusions
L’équipe de recherche a relevé plusieurs limites à l’étude. Tout d’abord, l’étude portait sur un nombre restreint d’organisations, toutes situées dans le Midwest des États-Unis. Ensuite, l’échantillon comprenait davantage de personnel des services de santé mentale des établissements du département des Anciens combattants que de personnel des organismes de services sociaux. Enfin, l’échantillon ayant été sélectionné parmi des participants à une étude d’intervention plus vaste, il est possible que le personnel le plus touché par l’épuisement professionnel ait été exclu de l’étude.
Applications possibles
Selon l’équipe de recherche, les résultats indiquent plusieurs cibles possibles d’intervention au niveau du système de santé, de l’organisation et des programmes qui pourraient orienter les établissements de soins vers des manières plus efficaces de réduire l’épuisement professionnel et de renforcer l’engagement au travail.
Auteur.e.s
Angela L. Rollins1,2,3, Johanne Eliacin1,2,3, Alissa L. Russ-Jara1,4, Maria Monroe-Devita5, Sally Wasmuth1,3,6, Mindy E. Flanagan1, Gary A. Morse7, Michael Leiter8, Michelle P. Salyers2
- VA HSR&D Center for Health Information and Communication, Veterans Health Indiana, Indianapolis, Indiana, États-Unis
- Département de psychologie, ACT Center of Indiana, IUPUI, Indianapolis, Indiana, États-Unis
- Regenstrief Institute, Inc., Indianapolis, Indiana, États-Unis
- Département de l’exercice de la pharmacie, Faculté de pharmacie, Université Purdue, West Lafayette, Indiana, États-Unis
- Département de psychiatrie et de sciences comportementales, Faculté de médecine de l’Université de Washington, Seattle, État de Washington, États-Unis
- Département d’ergothérapie, École des sciences de la santé et des sciences humaines de l’Université de l’Indiana, Indianapolis, Indiana, États-Unis
- Recherches et Développement, Places for People, Saint-Louis, Missouri, États-Unis
- Département de psychologie, Université Acadia, Wolfville, Nouvelle-Écosse, Canada