En bref
Le trouble bipolaire accroît le risque et l’apparition précoce de maladies cardiovasculaires. Les facteurs de risque communs, comme l’hypertension artérielle et le tabagisme, ne peuvent à eux seuls expliquer cette forte association. Dans le cadre de cette étude, l’équipe de recherche a utilisé la rétinographie et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour étudier les microvaisseaux rétiniens et les circuits de la substance blanche de sujets jeunes présentant ou non un trouble bipolaire. Les résultats de ces travaux montrent qu’il existe un lien entre la structure des petits vaisseaux (microvaisseaux) et l’état des circuits cérébraux. Chez les jeunes présentant un trouble bipolaire, le calibre des vaisseaux rétiniens était plus large que celui des sujets du groupe témoin. Chez les participants à l’étude dont les vaisseaux n’étaient pas sains, on notait une réduction de l’intégrité de la substance blanche dans des zones cérébrales, aussi bien chez les jeunes présentant un trouble bipolaire que chez les sujets du groupe témoin. Globalement, ces résultats préliminaires portent à conclure que le cerveau n’est pas à l’abri d’un risque cardiovasculaire tôt dans la vie et qu’une intervention précoce ciblant les vaisseaux pourrait être particulièrement utile chez les jeunes présentant un trouble bipolaire.
Objet de la recherche
Le trouble bipolaire est associé à un risque accru et à une apparition précoce de maladies cardiovasculaires. Le fait que les microvaisseaux jouent un rôle important dans le débit sanguin cérébral et l’échange d’oxygène pourrait expliquer le lien existant entre trouble bipolaire et risque excessif de maladie cardiaque.
L’équipe de recherche a étudié les microvaisseaux pour déterminer si ces derniers jouent un rôle dans ce lien cœur-cerveau. L’imagerie du cerveau permet de recueillir des données sur l’état des vaisseaux, du cœur et d’autres organes. La rétine présente un intérêt particulier, car elle est en quelque sorte une extension du système nerveux central. En outre, les microvaisseaux rétiniens présentent de nombreuses similitudes avec les vaisseaux sanguins du cerveau.
La photographie des vaisseaux rétiniens, facilement réalisable et peu coûteuse grâce à des techniques numériques couramment utilisées dans les cabinets ophtalmologiques, est donc intéressante pour étudier la rétine oculaire. Des études antérieures dans lesquelles cette technologie a été utilisée ont révélé des différences dans les microvaisseaux des jeunes et des adultes présentant des troubles psychiatriques (diagnostic et symptômes). Cependant, ces études n’incluaient pas l’imagerie cérébrale et ne s’intéressaient pas à la manière dont des modifications vasculaires pourraient sous-tendre des changements de la structure et de la fonction cérébrale chez les personnes ayant des affections psychiatriques.
Cette étude visait à clarifier le lien entre les microvaisseaux rétiniens et les circuits cérébraux de la substance blanche chez les jeunes présentant ou non un trouble bipolaire.
Méthode
Quarante-deux jeunes présentant un trouble bipolaire et un groupe témoin comptant 42 jeunes ne présentant ni trouble bipolaire ni d’autres problèmes psychiatriques graves ont participé à l’étude. L’équipe de recherche a pris des images numériques des microvaisseaux rétiniens. Elle a également eu recours à l’imagerie du tenseur de diffusion (ITD), un type d’IRM qui utilise la diffusion des molécules d'eau pour étudier les faisceaux de fibres de la substance blanche. Cette technique aide à déterminer l’intégrité structurale des circuits de la substance blanche, qui est fréquemment altérée en cas d’affections psychiatriques, comme le trouble bipolaire.
L’équipe de recherche a ensuite examiné la relation entre la structure microvasculaire et l’intégrité structurale de la substance blanche, en y cherchant des différences entre les sujets bipolaires et ceux du groupe témoin.
Conclusions de la recherche
Chez les jeunes présentant un trouble bipolaire, le calibre des vaisseaux rétiniens était plus large que celui des sujets témoins. Des microvaisseaux rétiniens élargis étaient associés à une réduction de l’intégrité structurale des circuits de la substance blanche chez les jeunes bipolaires et chez ceux du groupe témoin.
Par ailleurs, l’équipe de recherche a trouvé cinq zones cérébrales où la connexion entre les vaisseaux rétiniens et les circuits cérébraux différait entre les deux groupes. Dans chaque cas, un élargissement des microvaisseaux rétiniens était associé à une meilleure intégrité structurale des circuits de la substance blanche chez les jeunes présentant un trouble bipolaire que dans le groupe témoin.
Portée et limites de l’étude
Cette étude d’un groupe de jeunes ayant reçu un diagnostic psychiatrique étant la toute première, elle comporte certaines limites. Ainsi, l’échantillon restreint compromet l’efficacité statistique de l’étude pour confirmer si le lien entre l’état des vaisseaux et l’intégrité de la substance blanche diffère entre les jeunes ayant un trouble bipolaire et les sujets témoins. En outre, comme il s’agit d’une étude transversale, l’équipe de recherche ne peut pas conclure avec certitude qu’un mauvais état des vaisseaux entraîne des modifications de la structure et du fonctionnement du cerveau.
Un échantillon sensiblement plus important aiderait à répondre à des questions importantes quant à l’influence du sexe biologique, de la prescription de médicaments psychiatriques et des symptômes psychiatriques sur les résultats de l’étude. De plus, une étude longitudinale s’accompagnant de mesures répétées au fil du temps serait utile pour clarifier la chronologie des associations. Une telle étude permettrait par exemple de répondre aux questions suivantes : les différences dans les microvaisseaux précèdent-elles les différences dans les circuits cérébraux, est-ce le contraire qui se produit ou les deux se produisent-elles simultanément ?
Applications possibles
Les résultats de l’étude sont importants pour les chercheurs, les cliniciens et les jeunes présentant un trouble bipolaire. Cette étude étant la première du genre, elle est destinée à orienter les études futures sur les associations entre les vaisseaux et le cerveau, un sujet encore négligé en psychiatrie. Ce travail de recherche peut également guider les interventions ciblant les causes vasculaires des affections psychiatriques, dont utilisation au tout début de la maladie de médicaments pour traiter les maladies cardiovasculaires ou application de nouvelles méthodes visant directement les microvaisseaux.
À propos de l’équipe de recherche
Megan Mio1, Kody G. Kennedy1, Anahit Grigorian1, Yi Zou1, Mikaela K. Dimick1, Beth Selkirk2, Peter J. Kertes2,3, Walter Swardfager4,5, Margaret K. Hahn6,7,8, Sandra E. Black5, Bradley J. MacIntosh5,9, Benjamin I. Goldstein1,4,8
- Centre du trouble bipolaire chez les jeunes, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto, Canada
- Centre d’ophtalmologie John et Liz Tory, Département d’ophtalmologie et sciences de la vision, Centre des sciences de la santé Sunnybrook, Canada
- Université de Toronto, Ophtalmologie et sciences de la vision, Toronto, Canada
- Département de pharmacologie et de toxicologie, Université de Toronto, Toronto, Canada
- Programme de recherche en neurosciences Hurvitz, Centre des sciences de la santé Sunnybrook, Toronto, Canada
- Département de traitement de la schizophrénie, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto, Canada
- Institut des sciences médicales, Faculté de médecine, Université de Toronto, Toronto, Canada
- Département de psychiatrie, Université de Toronto, Toronto, Canada
- Département de biophysique médicale, Université de Toronto, Toronto, Canada