Ce qu’il faut savoir
Il n’existe que peu de remèdes efficaces contre la dépression pour les personnes présentant des troubles bipolaires, et encore moins de remèdes à action rapide. Un petit nombre d’études portant sur des adultes souffrant d’un trouble dépressif majeur réfractaire au traitement ont montré que le protoxyde d’azote, un anesthésique également appelé « gaz hilarant », agissait rapidement. Dans la présente étude, les chercheurs ont voulu évaluer l’effet d’une administration unique de protoxyde d’azote chez des adultes présentant une dépression bipolaire réfractaire au traitement. Pour ce faire, ils l’ont comparé à un autre anesthésique n’ayant pas d’effets antidépresseurs connus, le midazolam. Les chercheurs ont employé l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour mesurer le débit sanguin dans différentes régions du cerveau, et ce, avant, pendant et après le traitement. Les résultats ont montré que les participants ayant reçu du protoxyde d’azote présentaient, le jour du traitement, des symptômes dépressifs moins graves que ceux du groupe midazolam. Toutefois, la différence entre ces deux groupes avait cessé d’être significative 24 heures après le traitement. Les chercheurs ont également constaté que c’était lorsque le débit sanguin de départ dans le cortex cingulaire antérieur, une aire du cerveau impliquée dans le traitement des émotions et la régulation du comportement, était le plus faible que la réduction des symptômes dépressifs était la plus marquée chez les participants traités par le protoxyde d’azote.
Objet de la recherche
Les épisodes maniaques et les épisodes moins sévères, appelés hypomaniaques, sont la marque la plus caractéristique du trouble bipolaire, mais c’est la dépression qui est à l’origine de la plupart des symptômes du trouble bipolaire, tant chez les jeunes que chez les adultes.
Pourtant, s’il existe de nombreux médicaments pour le traitement de la manie, il n’y en a que peu pour le traitement de la dépression bipolaire, et les remèdes à action rapide sont encore plus rares. Des études ont toutefois montré que le protoxyde d’azote agissait rapidement chez les personnes présentant un trouble dépressif majeur réfractaire à d’autres traitements, et que cet anesthésique d’usage courant augmentait le débit sanguin cérébral, un indicateur important de la santé du cerveau. On sait d’ailleurs que chez les personnes présentant une dépression bipolaire, le débit sanguin cérébral est diminué.
L’objet de la présente étude était d’évaluer l’effet d’une administration unique de protoxyde d’azote par inhalation sur le débit sanguin cérébral et les symptômes de la dépression chez des adultes présentant une dépression bipolaire réfractaire aux autres traitements en utilisant le midazolam à titre de comparateur.
Méthode de recherche
Les chercheurs ont recruté 25 participants âgés de 34 ans en moyenne. Ces personnes avaient reçu un diagnostic primaire de trouble bipolaire, traversaient un épisode dépressif majeur depuis au moins quatre semaines et prenaient au moins un régulateur de l’humeur contre la manie.
Chaque participant·e s’est vu appliquer un masque d’anesthésie et on lui a posé une perfusion intraveineuse. Le protocole pour les deux groupes était le suivant :
- 12 participants ont reçu du protoxyde d’azote par inhalation et du sérum physiologique (un mélange d’eau et de sel) par voie intraveineuse.
- 13 participants ont reçu de l’air médical via le masque et du midazolam via la perfusion.
Afin d’éviter tout événement indésirable et de parer à tout risque, les chercheurs ont choisi de réduire la dose de protoxyde d’azote et la durée de la thérapie par rapport aux études précédentes sur la dépression. De fait, la dose de protoxyde d’azote employée était inférieure à un quart de celle administrée lors des études précédentes.
Les chercheurs ont mesuré les symptômes dépressifs et autres symptômes psychiatriques à différents intervalles :
- 60 minutes avant le traitement
- 60, 120 et 240 minutes après le traitement
- 24 heures après le traitement
Ils ont également eu recours à l’IRM pour mesurer le débit sanguin dans les régions et réseaux du cerveau impliqués dans le trouble bipolaire et la régulation émotionnelle.
Conclusions de la recherche
Les résultats ont montré que les participants du groupe protoxyde d’azote présentaient, le jour du traitement, des symptômes de dépression moins marqués que ceux du groupe midazolam. Toutefois, la différence entre ces deux groupes n’était plus significative 24 heures après le traitement.
Les chercheurs ont également constaté qu’un faible débit sanguin de départ dans le cortex cingulaire antérieur, une région cérébrale clé pour la régulation de l’humeur, était associé à une réduction des symptômes dépressifs plus marquée chez les participants traités par le protoxyde d’azote.
Portée et limites des conclusions
La taille de l’échantillon de l’étude était réduite en raison de difficultés de recrutement dues à un ensemble de facteurs, dont les exclusions liées à l’IRM, la nécessité de coordonner les visites des participants à l’étude avec les membres des équipes de psychiatrie, d’anesthésiologie et d’imagerie cérébrale, et le déclenchement de la pandémie de COVID-19. En outre, les chercheurs n’ont pas prévu de groupe non traité par un agent psychoactif (c.-à-d. perfusion de sérum physiologique et inhalation d’air ambiant), ce qui a limité leur capacité à déterminer si la réduction des symptômes dépressifs était due au traitement ou à un effet placebo lié aux effets des agents administrés.
Applications possibles
Les résultats obtenus sont prometteurs et justifient la réalisation d’autres études. En sus de l’objectif global de réduction des symptômes de la dépression, le protoxyde d’azote pourrait avoir d’autres applications dans le traitement du trouble bipolaire, notamment la prévention de l’hospitalisation ou le raccourcissement de sa durée, ainsi qu’une réduction du risque de suicide. Les chercheurs espèrent en outre que ce traitement pourra être étendu aux jeunes touchés par la dépression bipolaire.
La présente étude montre aussi qu’il faudra aussi inclure, dans les études psychiatriques futures, des examens de neuro-imagerie portant sur le débit sanguin cérébral.
Auteurs
William S.H. Kim1,2 , Mikaela K. Dimick3,4,5 , Danielle Omrin3,4 , Rachel H.B. Mitchell4,5,6, Daniel Riegert4,7, Anthony Levitt2,4,6 , Ayal Schaffer2,4,6 , Susan Belo4,7 , John Iazetta4 , Garfield Detzler4 , Mabel Choi4,7, Stephen Choi4,7, Nathan Herrman2,4,6, Roger S. McIntyre5,6,8, Bradley J. MacIntosh1,2, Beverly A. Orser2,4,7 et Benjamin I. Goldstein3,4,5,6
- Département de génie biomédical de l’Université de Toronto, Toronto
- Programme de recherche Hurvitz en sciences du cerveau de l’Institut de recherche Sunnybrook, Toronto
- Centre du trouble bipolaire chez les jeunes du Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto
- Centre Sunnybrook des sciences de la santé, Toronto
- Département de pharmacologie et de toxicologie de l’Université de Toronto, Toronto
- Département de psychiatrie de l’Université de Toronto, Toronto
- Département d’anesthésiologie et de médecine de la douleur de l’Université de Toronto, Toronto
- Unité de psychopharmacologie des troubles de l’humeur, Réseau universitaire de santé, Toronto