divider

Instantané de recherche : Les résultats d’une étude mettent en lumière les problèmes que pose la dépénalisation de la possession de drogues illicites à hauteur d’un maximum de 2,5 grammes en Colombie-Britannique.

Ce qu’il faut savoir

En 2022, Santé Canada a approuvé une exemption d’une durée de trois ans à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, exemption qui dépénalise la possession pour usage personnel de certaines drogues illicites en Colombie-Britannique. Cette exemption permet à des adultes d’être en possession d’une quantité cumulative maximale de 2,5 grammes d’opioïdes, de cocaïne, de méthamphétamine ou de méthylènedioxyméthamphétamine (MDMA). L’équipe de recherche a interrogé 45 personnes de Colombie-Britannique consommant des drogues chaque semaine ou recevant un traitement par agonistes opioïdes afin de comprendre leur point de vue sur la dépénalisation, en particulier sur le seuil de 2,5 grammes par jour. Selon les participant·e·s, le seuil de 2,5 grammes pourrait augmenter les risques et les dommages liés à la consommation de drogues, dont surdose et arrestation. L’équipe de recherche souligne qu’il faudra impérativement surveiller et évaluer l’impact de ce seuil afin de veiller à ce qu’il ne se traduise pas par d’autres préjudices pour les personnes qui consomment des drogues.

Objet de la recherche

Le Canada fait face à la pire crise de surdoses de son histoire, la Colombie-Britannique affichant l’un des taux de surdoses les plus élevés. En Colombie-Britannique, de nombreux décès par surdose sont dus à la présence d’opioïdes comme le fentanyl et ses analogues dans les drogues offertes sur le marché, ainsi que d’opioïdes mélangés à des benzodiazépines.

L’approche traditionnelle de la justice pénale s’étant avérée inefficace pour réduire le nombre des surdoses, le gouvernement du Canada a accordé à la Colombie‑Britannique une exemption de trois ans, en vertu du paragraphe 56 (1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cette exemption prévoit la dépénalisation de la possession pour usage personnel de certaines drogues illicites à partir du 31 janvier 2023.

Cette mesure prévoit entre autres que les adultes pourront être en possession d’une quantité cumulative maximale 2,5 grammes d’opioïdes, de cocaïne, de méthamphétamine ou de MDMA. La possession de plus de 2,5 grammes de l’une ou l’autre de ces substances demeure une infraction pour possession ou trafic de drogue.

La Colombie-Britannique étant la première province à mettre en place cette politique en matière de drogues, l’équipe de recherche a interrogé avant son entrée en vigueur des consommateurs de drogues illicites de la province pour avoir leur avis à son sujet.

Méthodes

L’étude, qui a commencé après l’annonce de la politique de dépénalisation, a duré du 9 juin au 28 octobre 2022. Les 45 participant·e·s consommaient des drogues illicites ou recevaient un traitement par agonistes opioïdes pour un trouble dû à la consommation de substances psychoactives. Certain·e·s travaillaient dans le domaine de la réduction des méfaits. Lors d’entretiens téléphoniques, les participant·e·s ont abordé divers aspects de la dépénalisation, en insistant sur les avantages, les difficultés, les désagréments et les aléas de la politique, plus particulièrement sur le seuil de 2,5 grammes avant son entrée en vigueur.

Conclusions de la recherche

Les participant·e·s avaient en moyenne 40 ans, dont 53 pour 100 s’identifiaient comme des hommes et 60 pour 100 étaient blancs. Un tiers étaient sans abri ou n’avaient pas de domicile permanent.

L’équipe de recherche a présenté les résultats selon deux catégories :

  1. conséquences selon le profil de consommation de substances psychoactives et les habitudes d’achat ;
  2. répercussions de l’application de la politique par la police.

Profil de consommation de substances psychoactives

La plupart des participant·e·s estimaient que, compte tenu de leurs habitudes de consommation de substances psychoactives, le seuil de 2,5 grammes était trop bas. Ce point de vue était particulièrement vrai chez celles et ceux qui utilisaient fréquemment des substances psychoactives ou qui, en raison d’un niveau de tolérance élevé, avaient besoin d’en prendre une quantité plus importante à chaque fois.

Quelques participant·e·s estimaient que la mesure ne changerait vraisemblablement pas leurs habitudes de consommation, car il était peu probable qu’ils ou elles achètent ou aient en leur possession plus de 2,5 grammes à la fois. La majorité de ces participant·e·s n’avait pas de domicile stable.

Conséquences du seuil sur les achats

Beaucoup de participant·e·s, en particulier ceux et celles consommant plus d’une substance, ont indiqué que, comme ils et elles achètent habituellement chaque substance en quantité différente et les transportent toutes ensemble, ils et elles auraient plus de 2,5 grammes en leur possession. Outre sa nature arbitraire, ce seuil montre que l’avis des personnes qui consomment des drogues n’a pas été sollicité lors de la planification et de la mise en œuvre de la mesure.

Les participant·e·s ont fait remarquer que certaines substances, comme la méthamphétamine et la cocaïne, sont généralement emballées et vendues en grandes quantités, tandis que d’autres, comme l’héroïne et le fentanyl, le sont en plus petites quantités. Beaucoup de participant·e·s ont donc suggéré qu’un seuil distinct s’applique aux différentes substances.

Conséquences sur les achats en gros

Selon beaucoup de participant·e·s, le seuil rendrait difficile l’achat de substances en gros, et empêcherait donc de réaliser des économies. Cela était particulièrement important pour les participant·e·s vivant dans de petites collectivités ou des collectivités du Nord, qui doivent souvent parcourir de longues distances pour trouver un vendeur ou une source de ravitaillement. Ces participant·e·s affirmaient qu’il leur faudrait acheter des drogues plus souvent, ce qui leur coûterait plus cher. 

Acheter en gros leur permet également de se ravitailler auprès de vendeurs ou de sources fiables. Pour ne pas dépasser le seuil de 2,5 grammes, il leur faudrait s’approvisionner plus fréquemment, probablement auprès de différentes sources, d’où un risque accru d’acheter des substances contaminées et de faire l’objet de plus de surveillance de la part de la police.

Conséquences concernant les interventions policières

Compte tenu de leur expérience passée, beaucoup de participant·e·s étaient convaincus que, dans le cadre de la nouvelle mesure, la police utiliserait son pouvoir discrétionnaire de manière incohérente, sapant ainsi les objectifs de la politique de dépénalisation.

Aggravation des peines possible

Beaucoup de participant·e·s craignaient que la police ne profite de cette mesure pour approcher les personnes consommant des drogues sous prétexte de « vérifier » qu’elles ne détiennent pas une quantité supérieure au seuil permis, ce qui, à leur avis, pourrait avoir pour effet d’élargir le filet du contrôle correctionnel, c’est-à-dire que certaines personnes feraient l’objet de sanctions pénales, alors que ce n’était pas le cas avant l’entrée en vigueur de la nouvelle politique. Certains appréhendaient que l’élargissement du filet de contrôle ait un impact disproportionné sur les revendeurs et les fournisseurs auxquels ils font confiance pour les approvisionner en produits sûrs.

Divergences possibles entre les collectivités

Beaucoup de participant·e·s estimaient que la manière dont la police appliquerait et ferait respecter la politique pourrait varier selon la collectivité. Ils craignaient notamment qu’il y ait des différences marquées dans la culture, les idéologies et les pratiques policières et que les services policiers appliquent la politique de façon plus sévère dans les régions rurales et isolées.

Portée et limites des conclusions

L’équipe de recherche a admis que les participant·e·s ne représentaient pas toutes les personnes consommant des drogues en Colombie-Britannique. En raison des méthodes de recrutement, il est possible que les participant·e·s connussent mieux les services de réduction des méfaits et les groupes de défense que les personnes qui, dans la population générale, consomment des drogues. Par ailleurs, l’équipe de recherche n’a pas séparé les données sur le sexe, l’âge et l’ethnicité, des facteurs qu’il est important de prendre en compte pour comprendre l’incidence du seuil.

Applications possibles

Cette étude donne un aperçu de la manière dont les personnes qui consomment des drogues perçoivent les seuils et le pouvoir discrétionnaire de la police concernant la mise en œuvre de la politique. Les résultats de l’étude soulignent d’une part l’importance de reconnaître les mauvaises expériences antérieures avec la police des personnes qui consomment des drogues, et, d’autre part, celle de faire participer des personnes ayant une expérience vécue de la consommation de substances psychoactives à l’élaboration de politiques de dépénalisation de la possession de certaines drogues illicites.

Auteur. trice. s

Farihah Ali 1,2*, Cayley Russell 1,2, Alissa Greer8, Matthew Bonn3, Daniel Werb9, 10, 11, Jürgen Rehm1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

  1. Institut de recherche en politiques de santé mentale, Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), Toronto, Ontario, Canada
  2. Pôle de l’Ontario, Initiative canadienne de recherche en abus de substance, Toronto, Ontario, Canada
  3. Association canadienne des personnes qui consomment des drogues, Dartmouth, Nouvelle-Écosse, Canada
  4. Département de psychiatrie, École de santé publique Dalla Lana et Institut des sciences médicales, Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
  5. Institut de recherche en santé mentale de la famille Campbell, CAMH, Toronto, Ontario, Canada
  6. Institut de psychologie clinique et de psychothérapie, Université technologique de Dresde, Dresde, Allemagne
  7. Centre de recherche interdisciplinaire sur les dépendances (ZIS), Département de psychiatrie et de psychothérapie, Centre hospitalier universitaire Hambourg-Eppendorf (UKE), Hambourg, Allemagne
  8. École de criminologie, Université Simon Fraser, Burnaby, Colombie-Britannique, Canada
  9. Centre d’évaluation des politiques sur les drogues, Unity Health Toronto, Toronto, Ontario, Canada
  10. Institut de la politique de santé, gestion et évaluation, Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
  11. Division des maladies infectieuses et de la santé publique mondiale, École de médecine de l’Université de Californie San Diego, La Jolla, Californie, États-Unis

En savoir plus sur