Ce qu’il faut savoir
Bien que les jeunes Autochtones sans abri invoquent souvent des causes structurelles pour expliquer leur situation, peu d’études ont examiné ces causes en détail. La présente recherche s’est appuyée sur des entretiens avec de jeunes Autochtones pour cerner ces causes structurelles et définir des stratégies en amont (c’est-à-dire des stratégies tenant compte des structures sociales sous-jacentes) dans le but d’aider à endiguer ce type de précarité à l’avenir. En offrant des espaces respectueux des cultures autochtones, en investissant des sommes substantielles dans les écoles, en procédant à l’intégration des systèmes sociaux, en offrant un enseignement fondé sur la vérité historique et en favorisant la littératie en santé mentale, on peut aider à promouvoir le bien-être et à prévenir le sans-abrisme. L’étude souligne également l’importance de faire participer directement les jeunes Autochtones à la recherche sur le sans-abrisme, car leur expérience et leur connaissance de la question sont essentielles pour mieux appréhender notre système social et le transformer.
Objet de la recherche
Les jeunes Autochtones représentent près d’un tiers des jeunes sans logement au Canada. Cette surreprésentation s’inscrit dans le contexte du racisme, de la pauvreté et des antécédents familiaux de traumatisme qui affectent de nombreuses communautés autochtones. Les jeunes Autochtones sans domicile fixe ont beau faire état des aspects problématiques du système de protection de l’enfance et du système scolaire en rapport avec leur difficulté à se loger, la plupart des recherches sur le sans-abrisme portent sur des interventions au niveau individuel. Peu d’études se sont penchées sur les facteurs structurels, les orientations politiques et les iniquités systémiques qui exposent les jeunes Autochtones à un risque accru de sans-abrisme. Au nombre de ces facteurs structurels figurent le racisme, les obstacles à l’éducation et à l’emploi, le manque de logements abordables, l’offre limitée de services de transport en commun et le manque d’accès à l’eau potable et à des aliments sains. De l’avis des jeunes Autochtones, le colonialisme et son cortège de traumatismes intergénérationnels continuent d’avoir une incidence manifeste sur leur santé et leur bien-être.
L’objectif des chercheurs était de s’informer directement auprès de jeunes Autochtones sur leurs expériences du sans-abrisme et de mettre à profit leur connaissance de la situation pour concevoir des solutions en amont permettant d’éliminer les racines profondes du problème. Destinées aux décideurs politiques, ces solutions pourraient permettre de transformer les systèmes et les institutions qui privilégient injustement certains groupes par rapport à d’autres. Les interventions en amont, qui ciblent les causes structurelles du sans-abrisme chez les jeunes, visent à produire des résultats pérennes.
Méthode
Les chercheurs de la présente étude se sont appuyés sur une série d’observations, dérivées d’entretiens et de groupes de discussion organisés entre 2012 et 2014, pour recueillir des informations auprès de jeunes sans-abri de Colombie-Britannique et ils se sont focalisés sur cinq jeunes Autochtones ayant pris part à l’étude, dont trois de sexe féminin, un de sexe masculin et une jeune personne s’identifiant comme bispirituelle. Leur but était d’analyser les données recueillies pour dégager des thèmes liés a) aux problèmes structurels exposant les jeunes Autochtones à un risque accru de sans-abrisme, et b) aux solutions en amont susceptibles d’atténuer ce risque dans le contexte scolaire. Ils ont ensuite présenté leurs conclusions à de jeunes Autochtones ayant une expérience vécue du sans-abrisme et ils se sont servis des commentaires de ces derniers pour formuler leurs conclusions.
Conclusions de la recherche
Quatre problèmes structurels ou déterminants sociaux de la santé ayant des répercussions profondes sur le vécu des jeunes Autochtones de l’étude sont ressortis des données.
- Le racisme : Les jeunes ont expliqué que la discrimination raciale était omniprésente dans les écoles, les services de santé et les services sociaux, qu’elle se manifestait par des préjugés, des attitudes désobligeantes et un profilage racial et qu’ils étaient constamment sous surveillance. Comme exemple de racisme institutionnel, les chercheurs citent la Loi sur les Indiens, une loi profondément discriminatoire qui engendre des préjudices matériels et accroît le risque de sans-abrisme chez les jeunes.
- Les politiques et pratiques colonialistes : Lorsque le suprémacisme blanc et l’eurocentrisme façonnent la vision du monde, la logique coloniale affecte toutes les sphères de la vie. Les jeunes qui ont participé à l’étude ont réfléchi à la façon dont ils avaient été aliénés (c’est-à-dire mis à l’écart et traités en inférieurs) et traumatisés par la société canadienne, notamment en étant étiquetés comme jeunes à problèmes avec des besoins élevés, et en étant rabaissés et ignorés. De nombreux jeunes considèrent que les systèmes tels que la protection de l’enfance et le système scolaire ont partie liée avec la suppression historique de la culture des peuples autochtones et leur expulsion de leurs terres.
- Les services inadaptés à la culture autochtone : L’oppression séculaire des Autochtones a donné aux jeunes le sentiment d’être déconnectés de leur culture. La Loi sur les Indiens et le système des pensionnats ont affecté des générations d’enfants autochtones en les coupant systématiquement de leurs traditions et en les assimilant aux normes sociales européennes. De retour dans leurs communautés, nombreux sont ceux qui se sont sentis comme des étrangers, sans endroit où vivre. Et ce sentiment de déracinement culturel se poursuit au travers des expériences que les jeunes font des services sociaux et du système scolaire, qui ne tiennent aucun compte de leur culture, car ces institutions continuent de véhiculer les valeurs eurocentriques qui ont présidé à la colonisation.
- Les mesures politiques à l’emporte-pièce : Les gouvernements qui ont rogné sur les services sociaux ont eu un impact disproportionné sur les services assurés par des Autochtones et ils ont provoqué la fermeture de logements d’urgence dont dépendaient les jeunes. Ces mesures de compression des coûts ont marginalisé encore davantage les jeunes Autochtones et aggravé le sans-abrisme dans cette population.
Les chercheurs ont défini cinq stratégies en amont qui, si elles étaient appliquées, permettraient de créer des conditions plus équitables pour les jeunes Autochtones et de prévenir les risques qu’ils courent.
- Sécurisation culturelle : Pour les jeunes Autochtones, le rattachement à leur culture est un facteur de protection important sur le plan de la santé. Les jeunes qui ont participé à cette étude ont plaidé en faveur du renforcement de la connexion culturelle et ils se sont prononcés en faveur d’une conception autochtone de l’éducation, l’accent étant mis sur l’enseignement aux jeunes de leurs droits fondamentaux.
- Financement adéquat des écoles : Les jeunes Autochtones font les frais des inégalités systémiques en raison du sous-financement de leurs écoles. Le manque d’aides-éducateurs, de matériel, de locaux et d’installations se traduit par des taux de décrochage plus élevés, ce qui conduit à l’insécurité financière et au risque de se retrouver sans logement. L’investissement dans les écoles autochtones est une stratégie en amont nécessaire pour la prévention du sans-abrisme chez les jeunes.
- Intégration des systèmes : Il n’est pas facile pour les jeunes Autochtones d’être ballottés entre différents placements des services de protection de l’enfance, différentes écoles et différents fournisseurs de services de santé. Les jeunes se sont plaints du manque de coordination entre les différents systèmes et du manque de continuité des interventions. Ils ont dit que cette confusion avait engendré des pertes de temps et s’était répercutée sur leurs études. Une harmonisation de ces systèmes faciliterait l’accès aux soins et la collaboration entre prestataires, et elle favoriserait l’obtention de meilleurs résultats scolaires.
- Rétablissement de la vérité historique dans l’enseignement : Au vu du rôle historique de l’école comme instrument de colonialisme et d’oppression, les jeunes ont dit qu’il fallait des enseignants qui tiennent compte des traumatismes et qui soient en mesure de reconnaître l’histoire douloureuse des Autochtones avec l’intention d’y remédier. L’inclusion d’aînés autochtones et de gardiens du savoir garantirait le respect de la vérité historique.
- Promotion de la littératie en santé mentale : Pour réduire le décrochage scolaire et le risque de sans-abrisme, il faudrait offrir aux jeunes Autochtones un meilleur accès aux services de santé mentale. Les jeunes ont insisté sur la nécessité pour les écoles de promouvoir la santé mentale et d’offrir des thérapies gratuites.
Portée et limites des conclusions
L’étude ayant porté sur un petit échantillon, son objectif n’était pas d’aboutir à des généralisations. Les solutions proposées ici découlent d’un moment, d’un lieu et d’un contexte particuliers et il faudra procéder à une évaluation des conclusions de l’étude pour en confirmer le bien-fondé. Les chercheurs tiennent cependant à souligner la valeur des points de vue exprimés par ces jeunes, dont l’expérience vécue et la sagesse devraient contribuer à éclairer les futures recherches sur la prévention du sans-abrisme. Ce domaine de recherche bénéficierait de l’intégration d’une optique d’équité reconnaissant les effets du colonialisme et d’autres déterminants sociaux de la santé sur le sans-abrisme chez les jeunes Autochtones.
Applications possibles
Pour prévenir le problème du sans-abrisme chez les jeunes Autochtones, il faut reconnaître le poids des structures institutionnelles dans leur vie. La présente recherche fait état de plusieurs interventions en amont dans le système scolaire qui pourraient contribuer à promouvoir le bien-être des jeunes. Des partenariats stratégiques entre chercheurs et décideurs politiques permettraient d’appliquer ces conclusions et d’introduire des changements majeurs dans le système scolaire. Cette étude montre également l’intérêt de placer les jeunes Autochtones au cœur même de la recherche. Leurs connaissances et leur expérience vécue devraient servir de guide à toute personne engagée dans ce travail.
Auteurs
Jeffrey Paul Ansloos1, Amanda Claudia Wager2 et Nicole Santos Dunn1
- Département de psychologie appliquée et de développement humain, Institut d’études pédagogiques de l’Ontario, Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
- Faculté d’éducation, Université Vancouver Island, Nanaimo, Colombie-Britannique, Canada