En bref
Les recherches menées en Amérique du Nord ont invariablement montré que les personnes transgenres (trans) présentent une plus forte prévalence de problèmes physiques et mentaux que la population cisgenre. Par ailleurs, dans la population trans, les risques de suicide et les comportements d’automutilation non suicidaires (CANS) sont plus élevés chez les jeunes que chez les adultes. L’équipe de recherche a réalisé une revue systématique de la documentation sur la suicidalité et les CANS afin d’en déterminer les facteurs de risque et de protection (p. ex. étape de la transition médicale, comorbidités, discrimination, soutien social, facteurs communautaires et sociétaux et politiques sociales).
Objet de la recherche
En Amérique du Nord, au sein de la population trans, les taux de suicidalité et de CANS sont plus élevés chez les jeunes que chez les adultes. L’équipe de recherche a réalisé une revue systématique sur la suicidalité et les CANS dans les populations trans afin d’en déterminer les facteurs de risque et de protection et de cerner les différences entre les jeunes et les adultes trans.
L’équipe de recherche a défini les termes suivants :
- Transgenre (trans) désigne une « personne qui ne se reconnaît pas dans le sexe qui lui a été assigné à la naissance (p. ex. une personne à laquelle on a assigné le genre masculin à la naissance, mais qui s’identifie comme femme est une femme transgenre) ».
- Genre expansif renvoie à « un large éventail d’identités de genre qui dépassent les diverses définitions normatives du genre et qui ne sont ni masculines ni féminines (p. ex. genre non binaire, genre fluide, genre queer) ».
- Cisgenre désigne une « personne qui se reconnaît dans le sexe qui lui a été assigné à la naissance (p. ex., une personne à laquelle on a assigné le genre féminin à la naissance et qui s’identifie comme femme est une femme cisgenre) ».
- Idéation suicidaire renvoie à « tous les cas où une personne a pensé à mettre fin à ses jours, qu’elle ait eu un plan d’action ou non ».
- Tentative de suicide s’entend de « toute tentative faite par une personne pour mettre fin à ses jours, même si son geste n’a pas été létal ou n’a pas donné lieu à une hospitalisation ».
- Automutilation sans intentionnalité suicidaire (CANS) englobe « tous les cas où une personne se blesse délibérément (p. ex., se couper, se frapper, se brûler) sans avoir l’intention de mettre fin à ses jours ».
Méthode
L’équipe de recherche a réalisé une revue systématique sur la suicidalité et les CANS afin d’en déterminer les facteurs de risque et de protection dans les populations trans et de cerner les différences entre les jeunes et les adultes trans. Elle s’est particulièrement attachée à étudier les facteurs de risque et de protection suivants : l’étape de la transition médicale, les comorbidités, la discrimination, le soutien social, les facteurs communautaires et sociétaux et les politiques sociales. Elle s’est également penchée sur les effets de ces divers facteurs, dont CANS, idéations suicidaires et tentatives de suicide. Les mesures retenues ont été la prévalence des CANS et de la suicidalité ainsi que les facteurs de risque et de protection associés.
La revue systématique excluait toutes les revues (p.ex., revues systématiques, études de portée, analyses documentaires), les publications non évaluées par des pairs, la littérature grise, les directives, les recommandations, les éditoriaux, les lettres à l’éditeur, les commentaires, les thèses et les exposés.
Conclusions de la recherche
L’équipe de recherche a sélectionné 52 études, dont la plupart des données provenaient des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, d’Australie et de Suède. Les groupes représentés dans la revue systématique comprenaient les adultes et les jeunes trans.
L’équipe de recherche a résumé ses constatations sous deux rubriques : la suicidalité et les CANS. Elle traite également des facteurs de risque et de protection pour les adultes et les jeunes trans de moins de 25 ans.
Suicidalité
Étape de la transition médicale
Adultes : Selon les études, il existe une corrélation significative entre les idéations suicidaires et le désir de transition médicale. La réalisation de la transition médicale souhaitée et l’accès à des soins d’affirmation de genre étaient des facteurs de protection contre les idéations suicidaires. D’autres études indiquent que la transition médicale et la perspective d’une telle transition réduisaient les idéations suicidaires et constituaient d’importants facteurs de protection.
Jeunes (moins de 25 ans) : Comme dans la population trans adulte, l’accès des jeunes trans à des soins d’affirmation de genre était associée à une réduction de la suicidalité.
Comorbidités
Adultes : La présence d’un trouble dépressif majeur ou le fait d’avoir eu des CANS étaient des facteurs de risque d’idéations suicidaires. Le fait d’avoir un trouble dépressif majeur ou un autre trouble mental était associé à une incidence accrue du risque de tentative de suicide. Les études faisaient également état des traitements pour troubles dus à l’usage de substances psychoactives, lesquels étaient associés à une probabilité deux fois plus élevée de faire une tentative de suicide au cours de la vie. En revanche, le fait de recevoir du counseling pour des problèmes de santé mentale était associé à des taux significativement plus faibles d’idées suicidaires au cours de la vie.
Jeunes (moins de 25 ans) : Il ressort des études que ce sont les symptômes dépressifs plutôt que le diagnostic d’un trouble dépressif majeur qui sont associés à une augmentation des idéations suicidaires et des tentatives de suicide. En outre, en Australie et aux États-Unis, la dysphorie corporelle, une piètre image corporelle et l’insatisfaction relative au poids et à l’apparence physique étaient des facteurs associés à l’incidence accrue d’idées suicidaires.
Discrimination
Adultes : L’expérience de la discrimination ou de la violence liées au genre était corrélée aux idéations suicidaires et aux tentatives de suicide. En outre, les efforts de conversion identitaire avant l’âge de 10 ans et l’intériorisation de la transphobie étaient également associés à une incidence accrue des idéations suicidaires et des tentatives de suicide.
Jeunes (moins de 25 ans) : Les études sur les jeunes mettaient surtout l’accent sur les facteurs propres au milieu scolaire. En Australie et aux États-Unis, l’intimidation, la victimisation et le rejet par les pairs associés au genre s’accompagnaient d’une incidence accrue d’idéations suicidaires et de tentatives de suicide. Il a été établi que le fait de se sentir en sécurité à l’école était un facteur de protection contre la suicidalité.
Soutien social
Adultes : Des études ont révélé que le soutien social était un facteur de protection, la famille étant le système de soutien le plus important. Le rejet par la famille et le fait de ne pouvoir demander de l’aide à quelqu’un étaient donc associés à une incidence accrue des tentatives de suicide.
Jeunes (moins de 25 ans) : Comme chez les adultes trans, le soutien de la famille, en particulier celui des parents, constituait le facteur de protection le plus important contre la suicidalité.
Facteurs communautaires et sociétaux et politiques sociales
Adultes : Des facteurs sociaux, notamment le fait de ne pas être de race blanche, de s’identifier par ses origines multiraciales, d’avoir un faible niveau d’éducation et de revenu, d’être au chômage et de vivre en zone rurale plutôt qu’en milieu urbain, étaient associés à une incidence accrue des tentatives de suicide dues à la stigmatisation et au racisme.
Jeunes (moins de 25 ans) : Il ressortait d’une étude que les facteurs socio‑économiques associés à la suicidalité incluaient les problèmes de logement et d’emploi, les difficultés à l’école et le sentiment d’être coupés des services.
Comportements d’automutilation non suicidaires
Comorbidités
Adultes : La dysphorie de genre, l’insatisfaction à l’égard de l’image corporelle, une piètre estime de soi et un diagnostic de maladie mentale étaient associés à des CANS.
Jeunes (moins de 25 ans) : Concernant les CANS, le trouble dépressif majeur, les troubles alimentaires et des psychopathologies diverses étaient des facteurs de risque importants.
Discrimination
Adultes : La discrimination, la précarité du logement et la stigmatisation étaient associées à une incidence accrue des CANS.
Jeunes (moins de 25 ans) : Le rejet par les pairs, l’intimidation, les brimades physiques, les brimades et la discrimination fondées sur le genre étaient associés à une incidence accrue des CANS.
Soutien social
Jeunes (moins de 25 ans) : Le soutien familial, en particulier la solidité des liens avec les parents, était un facteur de protection important contre les CANS.
Facteurs communautaires et sociétaux et politiques sociales
Jeunes (moins de 25 ans) : Certains facteurs socio-économiques, comme les problèmes d’emploi, les problèmes scolaires et le sentiment d’être coupés des services, étaient associés à une incidence accrue des CANS. En outre, chez les jeunes trans vivant en milieu rural, les CANS étaient plus fréquents que chez les jeunes trans vivant en milieu urbain.
Portée et limites des conclusions
L’équipe de recherche a relevé plusieurs limites découlant des études examinées. Premièrement, la taille des échantillons et la stratégie de sélection variant d’une étude à l’autre, il était difficile de les comparer. Deuxièmement, aucune étude provenant de la littérature grise ou dans une langue autre que l’anglais n’était incluse. Troisièmement, toutes les données ayant été recueillies à un moment donné, il était difficile de déterminer un lien de causalité entre un facteur de risque ou de protection particulier et les CANS, les idéations suicidaires ou les tentatives de suicide. Quatrièmement, les études ayant été réalisées dans différents lieux géographiques, il était difficile de généraliser les conclusions de la recherche. Cinquièmement, les études ne faisaient pas de distinction entre les personnes trans et les personnes de genre expansif. Enfin, la revue systématique comportait un biais d’échantillonnage et un biais de survie.
Applications possibles
L’équipe de recherche estime que pour réduire la stigmatisation ressentie par les personnes transgenres, il faut sensibiliser les prestataires de soins quel que soit leur lieu d’exercice, y compris les services d’urgence, et l’ensemble de la population. En outre, des travaux de recherche complémentaires s’avèrent nécessaires pour mieux comprendre la façon dont les facteurs de risque et de protection influent sur la suicidalité et les CANS.
Auteur.e.s
Myriam Vigny-Pau1, Nelson Pang2, Hamad Alkhenaini1 et Alex Abramovich2,3
- Département de psychiatrie, Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada
- Institut de recherche sur les politiques en santé mentale, Centre de toxicomanie et de santé mentale, Toronto, Ontario, Canada
- École de santé publique Dalla Lana, Université de Toronto, Toronto, Ontario, Canada