Suicide et automutilation chez les médecins en Ontario, au Canada

Ce qu’il faut savoir

Dans le monde, le suicide est la treizième cause de mortalité. Des études, souvent antérieures à 2000, semblent indiquer que les risques de suicide sont plus élevés chez les médecins que chez les non‑médecins. Cependant, concernant la période actuelle, il existe peu de données sur le suicide chez les médecins canadiens. Dans le cadre de cette étude, l’équipe de recherche a évalué le risque de suicide et d’automutilation chez les médecins et les non-médecins en Ontario, au Canada.

Objet de la recherche

Selon les résultats d’études antérieures effectuées aux États-Unis, en Europe et en Australie, les taux de suicide par pays sont plus élevés chez les médecins que chez les non-médecins. Au Canada, on a isolé chez les médecins plusieurs facteurs de risque associés au suicide, dont grand stress psychosocial, épuisement professionnel, problèmes de santé mentale, troubles liés à la consommation de substances psychoactives et, récemment, la pandémie de COVID-19. D’après une étude précédente réalisée au Québec, 36 médecins se sont suicidés de 1992 à 2009. À ce jour, on ignore si le risque de suicide et l’automutilation, un facteur prédictif du comportement suicidaire, sont plus élevés actuellement au Canada chez les médecins que chez les non-médecins.

Dans cette étude, l’équipe de recherche a évalué le risque de suicide et les actes d’automutilation chez les médecins et chez les non-médecins en Ontario, au Canada.

Méthodes

L’équipe de recherche a mené une étude de cohorte rétrospective basée sur la population en s’appuyant sur les données d’inscription de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario en rapport avec les données administratives sur la santé d’ICES. Étaient inclus les médecins âgés d’au moins 25 ans autorisés à exercer de 1990 à 2016, avec un suivi jusqu’en 2017. La cohorte comprenait tous les nouveaux médecins inscrits et les non-médecins âgés d’au moins 25 ans de janvier 1990 à décembre 2015. Ensuite, l’équipe de recherche a analysé les données de 35 989 médecins et de 6 585 197 non‑médecins.

Les données obtenues auprès de chaque participant.e étaient les suivantes :

Les décès par suicide et les actes d’automutilation des médecins entraînant une admission aux urgences ou nécessitant une hospitalisation, tels que définis par les codes de la Classification statistique internationale des maladies, étaient les principaux critères d’évaluation de l’étude. Le critère secondaire était l’issue composite des suicides ou des automutilations dans l’ensemble de la population.

Conclusions de la recherche

Dans l’ensemble, une plus grande proportion de médecins était de sexe masculin et plus jeune que les non-médecins. Par ailleurs, les médecins avaient tendance à moins vivre en milieu rural et plus dans des quartiers à haut revenu, à présenter moins de troubles médicaux et à moins consulter un médecin pour des visites de soins de santé. De 1990 à 2016, environ un médecin sur 1 300 (0,08 %) s’est suicidé et, d’avril 2002 à 2016, environ un sur 400 a commis un acte d’automutilation. Chez les médecins, le taux de suicide brut pour 100 000 années-personnes était de 9,44 par rapport à 11,55 chez les non‑médecins.

Il ressort de l’examen des facteurs de risque de suicide ou de suicide/automutilation au moment du décès que les médecins âgés de plus de 45 ans présentaient un risque moins élevé, tandis qu’un risque plus élevé était associé à des antécédents de troubles de l’humeur ou à des troubles anxieux ainsi qu’à la consultation externe d’un intervenant.e en santé mentale et un rendez-vous dans un service de psychiatrie au cours de l’année écoulée.

Portée et limites des conclusions

L’équipe de recherche a relevé plusieurs limites à son étude. Premièrement, la cohorte de sujets comprenait de nouveaux médecins inscrits à partir de 1990, limitant ce faisant le nombre de médecins âgés de plus de 60 ans. Par conséquent, il est possible que le risque global de décès par suicide et d’actes d’automutilation ait été sous-estimé. Deuxièmement, l’évaluation n’a pris en compte que les actes d’automutilation les plus graves et n’a pas considéré les visites en soins ambulatoires. Des erreurs de classification ou de non-déclarations ont pu aussi se produire, causant une sous-évaluation du taux des actes d’automutilation chez les médecins.

L’étude est aussi limitée par le fait que les renseignements sur les spécialités sont insuffisants, que les étudiant.e.s en médecine ne sont pas inclus dans la cohorte et que l’utilisation d’une seule date donnée ne permet pas de tenir compte des changements survenus au fil des ans. L’équipe de recherche n’a pas non plus été en mesure d’examiner les tendances dans le temps.

Applications possibles

Selon l’équipe de recherche, cette étude sur l’automutilation et la combinaison suicide/automutilation permet de mettre en place des interventions et des programmes de sensibilisation en vue d’éviter des pertes en vies humaines. En outre, il pourrait s’avérer avantageux d’instaurer dès le début de leur carrière des programmes de bien‑être, des tests de dépistage et des évaluations individualisées pour les résident.e.s, les médecins et les personnes qui suivent une formation spécialisée.

Auteur.trice.s

Manish M. Sood1,4, Emily Rhodes3, Robert Talarico2,3, Caroline Gérin-Lajoie5, Christopher Simon5, Edward Spilg1,3, Taylor McFadden5, Kwadwo Kyeeremanteng1,3, Daniel T. Myran2,3,7, Nicholas Grubic2,3 et Peter Tanuseputro1,3

  1. Département de médecine, Université d’Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada
  2. Institut des sciences évaluatives cliniques, Ontario, Canada
  3. Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada
  4. Division de néphrologie, département de médecine, Hôpital d’Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada
  5. Association médicale canadienne, équipe du bien-être des médecins et de la culture médicale, Ottawa, Ontario, Canada
  6. Faculté des sciences de la santé, Université d’Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada
  7. Département de médecine familiale, Université d’Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada

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