Ce que vous devez savoir
- L’Alliance pour des communautés en santé a mené à bien un projet pilote de « prescription sociale » dans des centres de santé communautaires de l’Ontario. La prescription sociale établit un lien officiel entre les services de santé et les services communautaires en invitant les fournisseurs de soins à prescrire des activités hors du champ médical ou à les aiguiller vers des services de soutien.
- Les clients du projet pilote Rx: Communauté ont fait état d’une diminution de 49 % de leur sentiment de solitude, d’une amélioration de 12 % de leur santé mentale et d’une amélioration de 16 % de leur sentiment d’appartenance à la collectivité.
- Les fournisseurs de soins qui travaillent auprès de personnes âgées devraient avoir conscience qu’elles possèdent des connaissances et des habiletés, reconnaître que le fait d’apporter une contribution à la collectivité peut être source d’autonomisation et s’efforcer d’établir divers moyens de communiquer avec ces personnes durant les périodes d’isolement.
- Pour introduire la prescription sociale dans votre établissement, il vous faudra commencer par dresser un inventaire des possibilités offertes par la collectivité et soumettre systématiquement les clients à un dépistage pour déterminer leurs besoins sociaux.
Mise en contexte
Au Canada, de 10 à 50 % des personnes âgées se plaignent de solitude1,2. Or, la solitude et l’isolement social ont des répercussions désastreuses, dont l’accroissement des chutes, des maladies cardiovasculaires et de la mortalité, ainsi que le déclin fonctionnel, la dépression et la démence; de plus, l’isolement social est associé à la maltraitance des personnes âgées1,3. L’absence de liens sociaux véritables et du soutien de l’entourage ou de professionnels peut également entraîner une baisse de la qualité de vie et une augmentation des visites aux urgences et des admissions dans des établissements de soins de longue durée1,4. Depuis l’apparition de la COVID 19, le besoin de contacts des personnes âgées s’est accru, car elles risquent davantage de contracter une maladie grave et de traverser de longues périodes d’isolement social5,6.
Pour aider les personnes âgées à jouir d’une santé optimale, les fournisseurs de soins cliniques doivent reconnaître toute l’importance du soutien social et du sentiment d’appartenance à la collectivité7. L’état de santé est, dans une proportion de 80 à 90 %, le produit des déterminants sociaux de la santé (DSS), c’est-à-dire des conditions dans lesquelles les individus naissent, vivent, travaillent et vieillissent, tandis que les soins médicaux n’y contribuent qu’à hauteur de 10 à 20 %8.
L’Alliance pour des communautés en santé (l’Alliance) a tenu compte de ce besoin en introduisant la prescription sociale en Ontario au moyen d’un projet pilote appelé Rx: Communauté. La prescription sociale est un outil permettant d’établir un lien officiel entre les services de santé et les services communautaires8. Dans ce cadre, les fournisseurs de soins œuvrent en collaboration avec chaque client pour élaborer conjointement une solution qui déborde le diagnostic médical : prescription de cours de cuisine, d’activités bénévoles ou de participation à un groupe de deuil, par exemple, ou mise en relation avec d’autres services de soutien offerts par la collectivité.
Nous nous sommes entretenus avec la Dre Kate Mulligan, directrice des politiques et communications de l’Alliance, au sujet du projet pilote et de l’utilité de la prescription sociale pour le soutien aux personnes âgées esseulées et isolées.
Une pratique prometteuse
L’Alliance a mené à bien le projet pilote dans 11 centres de santé communautaires (CSC) de l’Ontario. Les fournisseurs de soins ont adressé à ces centres plus de 1 100 clients (dont 53 % âgés de plus de 61 ans) cumulant 3 295 prescriptions sociales. Selon les résultats indiqués par les clients, ceux-ci ont connu une diminution de 49 % de leur sentiment de solitude et une amélioration de 12 % de leur santé mentale; leur sentiment d’appartenance à la collectivité s’est en outre accru de 16 %.
Mode de fonctionnement
Les CSC fournissaient depuis longtemps des services médicaux et sociaux sous un même toit. L’aspect novateur du projet pilote a consisté à officialiser les activités déjà en cours et à faire le suivi des passerelles jetées intentionnellement entre les soins cliniques et les diverses formes de soutien social. S’il est vrai que la prescription sociale peut prendre des formes différentes selon les besoins des collectivités et les capacités des établissements, le projet pilote Rx: Communauté constitue un modèle de prescription sociale fondé sur des données probantes, qui comporte cinq éléments clés :
- Le client
- Le client est une personne qui a des problèmes sociaux et des troubles de santé. Il a ses objectifs, connaissances, habiletés et centres d’intérêt propres, qui doivent tous être pris en compte.
- L’aiguilleur
- Différentes personnes peuvent remplir le rôle d’aiguilleur : fournisseurs de soins primaires, cliniciens exerçant en milieu hospitalier, infirmières de santé publique, travailleurs des services communautaires, travailleurs sociaux, travailleurs exerçant dans des hospices et fournisseurs de soins à domicile.
- L’aiguilleur rencontre le client, procède à un dépistage en règle de ses besoins sociaux et lui délivre une prescription sociale : un aiguillage direct vers une activité particulière ou un aiguillage vers un agent de liaison.
- L’agent de liaison (ou « navigateur »)
- Divers travailleurs des CSC peuvent remplir le rôle d’agent de liaison : travailleurs des services d’approche, promoteurs de la santé, travailleurs sociaux et bénévoles formés à cet effet.
- L’agent de liaison peut apporter son soutien de diverses manières : en faisant connaître les formes de soutien existantes dans la collectivité, en procédant à une évaluation des besoins du client, en collaborant avec lui à la détermination d’une solution et en effectuant un suivi.
- Les prescriptions sociales
- Il s’agit de prescriptions non médicales d’activités offertes dans la collectivité : groupes de marche, bénévolat ou programmes artistiques, par exemple, ou de services de soutien communautaires, tels les services d’aide alimentaire.
- Le mode de collecte des données
- Tous les CSC participants ont employé un système unique de centralisation des dossiers médicaux informatisés (DMI) qui permettait de suivre le parcours de chaque client.
Enseignements tirés du travail auprès des personnes âgées
- Reconnaître les connaissances et habiletés des personnes âgées. Lorsqu’on travaille auprès de personnes âgées, il importe de tirer parti des connaissances et des habiletés qu’elles peuvent apporter à la collectivité. La première étape est simple : il suffit de leur demander de quoi elles ont besoin et de les mettre en relation avec un aiguilleur ou un agent de liaison. Pourtant, c’est souvent la première fois que l’on fait cas de ce qu’elles ont à dire, et cette démarche est bénéfique tant pour les individus que pour la collectivité tout entière.
- Le CSC Country Roads est situé dans l’est de l’Ontario, dans une région où de nombreux couples décident de s’installer au moment de la retraite. Un grand nombre de résidents doivent donc faire face à la perte de leur conjoint.e. Comme il s’agit d’une zone rurale, aucun service de soutien n’avait été mis en place. Lors d’une consultation des habitants de la région, le besoin d’un groupe de deuil a été mis en évidence, et ce groupe a été créé. Cela s’est traduit par une réduction du nombre des visites médicales et de la consommation de médicaments contre l’anxiété et la dépression découlant du deuil et de la solitude.
- Donner aux personnes âgées l’occasion de faire leur part au service de la collectivité et les aider ainsi à redonner un sens à leur vie. En prescrivant le bénévolat, qui permet aux personnes âgées de faire leur part en se mettant au service de la collectivité, on leur fait prendre conscience de ce qu’elles ont à offrir et on les autonomise. Dans de nombreux CSC, des personnes âgées ont fait du bénévolat et sont devenues responsables de leurs propres programmes. En outre, bon nombre d’entre elles ont participé à des activités de rayonnement depuis le début de la pandémie de COVID-19 ou ont dirigé de telles activités.
- Intervenir activement en employant divers moyens de communication. Au début de la mise en place des mesures d’éloignement physique pour faire face à la pandémie, les CSC ont commencé à intervenir activement auprès de leurs clients en utilisant divers moyens de communication pour faire en sorte que les personnes âgées isolées puissent continuer à avoir accès aux services et aux informations. Ils ont :
- aidé les personnes âgées à se servir de la technologie et créé des espaces en ligne sécurisés pour les échanges;
- effectué des livraisons (p. ex. nourriture et médicaments) et visites à domicile pour s’assurer de satisfaire les besoins des personnes en situation d’isolement social;
- organisé des chaînes téléphoniques, pour permettre de prendre des nouvelles de tous et favoriser les échanges interpersonnels;
- envoyé des colis (contenant des informations sur la santé et la COVID-19, des friandises, des articles pour activités manuelles, etc.) aux personnes âgées qui n’étaient pas en ligne pour leur montrer qu’on ne les oubliait pas – ces envois étant suivis d’appels téléphoniques.
Tout le travail initial n’a pas été effectué dans le cadre d’aiguillages officiels, mais le fait de relier les services proactifs aux services de santé donnerait à de nouveaux clients la possibilité d’accéder aux programmes et permettrait en outre de mesurer les résultats obtenus.
Mise en œuvre de la pratique prometteuse
Les inégalités en matière de santé exposées par la COVID-19 ont suscité un débat sur la nécessité d’aborder la question des DSS. Une question rarement abordée, cependant, est celle de l’importance de relier les services sociaux aux services de santé. La prescription sociale peut être mise en œuvre dans de nombreux cadres différents pour répondre en temps réel aux besoins sociaux des patients. Ci-dessous figurent quelques idées parmi d’autres sur la manière d’appliquer cette pratique prometteuse dans votre travail.
Dans le cadre de la pratique clinique :
- Faites un dépistage en règle des clients pour déterminer leurs besoins sociaux (p. ex. demandez-leur s’ils participent à des activités sociales ou s’ils sont satisfaits de leurs relations avec leurs amis et de leurs autres relations interpersonnelles).
- Pour rechercher une solution, au lieu de demander « Qu’est-ce qui ne va pas? », demandez plutôt « Qu’est-ce qui est important pour vous, dans la vie? ».
- Profitez des possibilités offertes par la collectivité. Dans un premier temps, dressez un inventaire des services existants et des partenariats possibles. Pour les prescriptions sociales, une autre option est la cocréation d’activités par des bénévoles et des personnes âgées de la collectivité.
Hors du cadre de la pratique clinique :
- Prenez contact avec des équipes de soins primaires, des équipes de santé familiale, des CSC, des centres d’accès aux services de santé pour les Autochtones ou des cliniques communautaires d’infirmières praticiennes pour leur faire connaître les services que vous offrez afin qu’ils vous adressent des clients.
Pour en apprendre davantage sur la Rx: Communauté.
Auteure : Beth White
References
- FREEDMAN, Amy et Jennifer NICOLLE. « Social isolation and loneliness: The new geriatric giants », Canadian Family Physician/Le médecin de famille canadien, vol. 66 no 3, 2020, p. 176-182. (Un résumé de cet article a été publié dans ce journal sous le titre : « Isolement social et solitude : les nouveaux géants gériatriques », [En ligne], [https://www.cfp.ca/content/66/3/e78.abstract.fr?langselect] [N.d.T.]).
- GOUVERNEMENT DU CANADA. Rapport sur l’isolement social des aînés, [En ligne], 2016. [https://www.canada.ca/en/national-seniors-council/programs/publications-reports/2014/social-isolation-seniors/page05.html] (Consulté le 18 juin 2020).
- VAN ORDEN, Kimberly A., Emily BOWER, Julie LUTZ, Caroline SILVA, Autumn M. GALLEGOS, Carol A. PODGORSKI, Elizabeth J. SANTOS et Yeates CONWELL. « Strategies to promote social connections among older adults during “social distancing” restrictions », (publication préalable en ligne). The American Journal of Geriatric Psychiatry, [En ligne], 2020. [https://doi.org/10.1016/j.jagp.2020.05.004] (Consulté le 2 septembre 2020).
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- MAGNAN, Sanne. « Social determinants of health 101 for health care », NAM Perspectives, National Academy of Medicine, Washington, 2017.